Rendre raison des mots qu’un
écrivain choisit ou de ceux auxquels il entend (prétend ?) laisser
l’initiative est un projet dont on voit dès l’abord la vanité, dans tous les
sens du terme. Ce sera pourtant le nôtre, car « il faut parler,
résolument » - et surtout des textes, ne serait-ce que pour « inciter
les meilleurs à parler » (Francis Ponge) et à faire mieux que les
tentatives orales (ou écrites) ici proposées. Car le silence devant les œuvres
de l’esprit est stérile, tout comme l’idée qu’on porterait atteinte à la
grandeur d’un poème, d’un tableau, d’une symphonie… en les prenant pour objet
de discours.
L’interdit vaudrait peut-être si,
tout comme la bêtise consiste à vouloir conclure (Flaubert), on se proposait
pour fin d’expliquer un texte ; mais on ne trouvera ici nulle volonté
d’explication : seulement une interprétation, discutable et révisable,
c’est-à-dire l’explicitation d ‘une lecture, une sorte de paraphrase, si l’on
entend par là un discours-au-long-de qui, espérons-nous, pourra inciter le
diligent lecteur (celui que Montaigne oppose implicitement à
l’ « indiligent lecteur », qui se noie dans les Essais) à formuler se propre
version ; tant il est vrai que « le même texte souffre d’innombrables
interprétations : il n’y a pas d’interprétation juste » (Nietzsche, Fragments posthumes). Mais,
ajouterons-nous témérairement, il est des interprétations faibles : celles
qui ne se soucient pas assez des mots, de leur raison d’être là, de leur
« réson », pour reprendre le néologisme pongien du Pour un Malherbe – c’est-à-dire de la
façon dont les mots résonnent, comme la corde d’une lyre – celles qui
méconnaissent ce que Ponge (encore !) nomme le CTM : le compte tenu
(contenu?) des mots, leur épaisseur sémantique. Voilà ce qui nous a décidé à
nommer, bien imprudemment, La Raison des
mots ces quelques essais de lecture, et à braver les foudres de Ponge qui
écrit, après avoir pris connaissance d’une interprétation qu’il jugeait
inadéquate (pour rester mesuré…) de son texte Le Bois de pins :
« Il est des moments où je
me sens tout à fait hérissé (défensivement) à l’idée d’être expliqué ; d’autres où ça retombe,
et où je me sens découragé, capable de laisser faire… » (Pléiade, tome 1, p. 409).
Mais le même Ponge écrit
aussi :
« N’importe qui est plus
capable que moi d’expliquer mes poèmes ».
Ce « n’importe qui »
nous rassure et nous encourage à proposer d’abord quelques lectures de textes
de Ponge (comme on pouvait le pressentir…), puis d’autres – de Proust, de
Rabelais, de Saint-John Perse, de Beckett, de Céline… - sans souci de
chronologie ni de genre, selon l’humeur et selon les éventuelles suggestions
d’hypothétiques lecteurs-auditeurs intéressés par l’aventure.
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